En 2024, le secteur de l'intérim clôture l'année civile avec une baisse de plus de de 2 % du volume d'heures de travail. Cette situation n'est pas anormale compte tenu de la conjoncture modérée qui a un impact significatif sur les secteurs liés au marché et donc à la conjoncture . Depuis le début de l'année 2023, l'emploi dans l’industrie a diminué de près de 12.000 postes, tandis que le chômage économique a continué d'y augmenter. L'utilisation de la capacité de production industrielle est inférieure à 75 % depuis un an, un niveau caractéristique des périodes de crise économique grave. Le secteur de l'intérim a toujours été un peu comme le canari dans les mines de charbon : il est un indicateur avancé des cycles conjoncturels et des évolutions qui se produisent sur le marché du travail, à la hausse comme à la baisse. Le recul en 2024 n'est donc pas surprenant.
Cependant, le ralentissement économique à lui-même ne suffit pas à expliquer l'évolution de ces dernières années. En 2023, il y avait déjà eu une baisse de 6,4 % et il faut remonter à 2018 pour retrouver le niveau maximal de l'activité intérimaire. Les causes de cette situation ne se limitent manifestement pas à une simple conjoncture difficile. Les chiffres de l'activité intérimaire reflètent un mélange complexe de chocs de l'offre et de la demande qui se répercutent sur notre économie et notre marché du travail.
La forte augmentation du coût du travail, et donc du travail intérimaire, conduit de nombreuses d'entreprises à faire preuve de beaucoup de prudence en matière d'embauche, même lorsqu’il s’agit de remplacements. Rien que l'inflation et l'indexation automatique des salaires ont entraîné une hausse de 20 % du coût salarial horaire au cours des 4 dernières années. Combinée à un environnement très compétitif et à une faible croissance de la productivité, l'analyse coûts-bénéfices penche rarement en faveur du travail. Pour les entreprises, d'ailleurs, cela fait partie d'un tableau plus large des défis liés aux coûts et à la compétitivité.
Le taux de vacance d’emploi ne ment pas. La demande de travail reste élevée, mais semble moins corrélée à la croissance économique. L'intensité de la croissance en termes d'emploi a été particulièrement élevée ces dernières années, soutenue par la croissance de l'emploi dans les services non marchands, à savoir l'administration publique et l’enseignement, les services sociaux et les soins. En 2024, le nombre de nouveaux emplois financés par les pouvoirs publics dépasse largement la baisse dans le secteur privé. Au cours des 30 dernières années, 45 % de la création d'emplois dans notre économie a eu lieu dans les secteurs non marchands. En bref, une époque où le travail est une ressource rare, une politique axée sur une croissance plus équilibrée de l'emploi s’impose urgemment.
En outre, en raison du vieillissement de la population, le nombre de personnes qui quittent le marché du travail chaque année est supérieur à celui des personnes qui y entrent. Une part importante des offres d’emploi concerne des remplacements et non l'expansion ou à la croissance. Entre 2018 et 2023, la demande de remplacement en Région flamande s'élevait en moyenne à 59 700 emplois par an. Ce nombre augmentera sensiblement entre 2023 et 2028 pour atteindre 79 100 par an. Entre 2023 et 2028, pas moins de 13,3 % de la population active (20-64 ans) quittera définitivement le marché du travail. Nous faisons donc face à un véritable défi en matière d'activation. Outre les départs « naturels » dus à la démographie, un nombre disproportionné de travailleurs se retrouvent en incapacité de travail de longue durée, avec un taux de réintégration actuellement bien trop faible. La situation de « plein emploi » dans certaines régions nécessite une approche d'activation des inactifs concluante. L'élargissement de la population active par la mise au travail ciblée de talents internationaux doit faire partie de la panoplie de solutions.
Néanmoins, les entreprises continuent de rencontrer des difficultés pour trouver des candidats adéquats car les compétences requises pour les emplois évoluent très rapidement. En janvier 2025, 14,7 % des entreprises manufacturières ont signalé des obstacles à la production en raison d'un manque de candidats qualifiés. Les exigences accrues en matière de compétences dans les offres d'emploi montrent l'impact de la technologie et de la numérisation au niveau des emplois dans presque tous les secteurs, ce qui renforce insidieusement le déséquilibre sur le marché du travail. Le « matching » direct entre les demandeurs d'emploi et les offres d’emploi devient beaucoup plus difficile sans efforts supplémentaires de recyclage et de perfectionnement des compétences. Le défi des compétences est crucial pour amener et maintenir des personnes sur le marché du travail, mais également pour contribuer à une croissance nécessaire de la productivité.
Le secteur de l'intérim n'est pas seulement un indicateur précoce de la conjoncture, mais il reflète aujourd'hui aussi les tendances structurelles sous-jacentes qui se développent sur le marché du travail et dans l'économie. Sans efforts ciblés, nous risquons de nous retrouver dans une impasse. Une augmentation permanente des coûts salariaux qui n’est pas soutenue par une croissance de la productivité, une croissance déséquilibrée des offres d’emploi dans les secteurs publics, une pénurie de candidats due à une diminution de la population active et un décalage croissant entre les compétences offertes et les compétences demandées en constante évolution, enrayent peu à peu les rouages de notre économie. Des réformes en profondeur s'imposent, car notre marché du travail est en pleine transition. L'impulsion donnée par l'accord de gouvernement fédéral est déjà un grand pas dans la bonne direction, mais même les politiques les plus fortes ne pourront pas annuler à elles seules les causes de la tempête qui s'annonce. Notre économie doit se préparer à ce marché du travail en transition.